La biologie et la psychologie de la dépression

Transcription de la conférence du professeur Sapolsky

Seum contre tous
12 min ⋅ 13/02/2025

Cette conférence m’a été d’une aide précieuse dans ma compréhension de la dépression. Disponible gratuitement sur YouTube, elle a été animée en 2010 par le professeur Robert Sapolsky, neuroendocrinologue et professeur émérite à l’université de Stanford. Avec clarté et bienveillance, il parvient à rendre accessibles des concepts complexes, offrant ainsi aux néophytes un savoir inestimable. Cette vidéo incarne l’essence même de ce que devrait être Internet : un espace de partage des connaissances, ouvert à tous, sans distinction de formation, de statut social ou de ressources financières. En 2023, Sapolsky a produit une version actualisée de cette même conférence. Sa vision du trouble dépressif m’a profondément éclairée, et il me tient à cœur de la faire connaître, dans un esprit de pur partage.

Je tiens néanmoins à préciser plusieurs choses :

  • J’ai rédigé cet article uniquement dans le but de rendre son savoir accessible aux non-anglophones, je ne m’attribue absolument pas son contenu, cela va sans dire.

  • Je ne suis pas garante de tout ce qu’il dit, ses propos lui appartiennent, évidemment.

  • La conférence durant plus de deux heures, j’ai séparé le texte pour plus de lisibilité.

Voilà, je lui laisse donc la parole :

Salut, je m’appelle Robert Sapolsky. Je suis professeur de biologie, neurologie et neurochirurgie à l’université de Stanford. Il y a environ 13 ans, j’ai donné une conférence à Stanford sur la biologie de la dépression. Quelqu’un l’a enregistrée, et Stanford l’a mise en ligne sur YouTube. Ça a donné du bon et du moins bon. Le bon côté, c’est que depuis, cette conférence a été vue plus de cinq millions de fois, ce qui suggère qu’elle est utile. Le moins bon, c’est qu’elle a été vue plus de cinq millions de fois… ce qui en dit long sur l’ampleur du problème de la dépression. Heureusement, depuis 13 ans, il y a eu quelques avancées dans le domaine. L’objectif de cette conférence, c’est donc un peu comme la suite de celle de 2010 : une mise à jour des connaissances.

PARTIE I : LA BIOLOGIE DE LA DÉPRESSION

INTRODUCTION ET ÉTAT DES LIEUX

Tout au long de cette conférence, je vais défendre l'idée que la dépression est l'une des pires catastrophes médicales qui puissent frapper quelqu'un. Et nous allons voir pourquoi en détail.

Pour avoir une idée de l’ampleur du problème : l’Organisation mondiale de la santé classe la dépression majeure comme la première ou la deuxième cause d’incapacité médicale dans le monde. Des millions de personnes sont touchées. Les meilleures estimations indiquent que 15 à 18 % des gens connaîtront un épisode dépressif majeur au cours de leur vie. 

Et maintenant, une nouvelle encore plus alarmante : environ 80 % des cas ne sont jamais diagnostiqués. Parmi ceux qui le sont, environ un tiers ne répondent à aucun traitement, un tiers répondent mais avec des effets secondaires insupportables, et un tiers seulement sont réellement aidés. Autrement dit, nous sommes face à un problème massif, avec des millions de personnes atteintes qui ne sont ni diagnostiquées ni traitées efficacement. Environ 80 % des personnes souffrant de dépression majeure auront plusieurs épisodes au cours de leur vie. 

Un des constats les plus inquiétants, c’est que, décennie après décennie, l’incidence de la dépression augmente. Alors, peut-être que cela ne signifie rien en soi. Il y a des biais possibles : aujourd’hui, les gens admettent plus facilement qu’ils se sentent déprimés qu’ils ne l’auraient fait dans les années 1950, ce qui peut donner une impression artificielle d’augmentation des cas. Mais des études épidémiologiques très rigoureuses, menées à travers différentes cultures, montrent que cette hausse est bien réelle.

Ce qui est encore plus parlant, c’est que cette augmentation touche en particulier les adolescents. Chaque année, de plus en plus de jeunes sont intégrés dans ce groupe de personnes qui vont lutter contre la dépression toute leur vie. Et ce n’est pas seulement un problème d’adolescence. On observe aussi, au fil des décennies, une augmentation des cas chez les personnes âgées. Alors, qui est le plus à risque de souffrir de dépression majeure ? Sans surprise, les données démographiques montrent que l’un des plus grands facteurs prédictifs est un statut socio-économique faible.

Dans cette conférence, je vais défendre trois idées essentielles :

La première, elle est déjà sous-jacente dans ce que je viens de dire : la dépression est une maladie médicale. Il y a cette réaction incroyablement toxique de la part de ceux qui ne savent pas ce qu’est la dépression et qui disent : « Allez, on passe tous par des moments difficiles, on finit par s’en sortir, il suffit de se ressaisir, arrête de t’apitoyer sur ton sort. » Dire ça à quelqu’un qui souffre d’une dépression majeure, c’est comme dire à une personne diabétique : « Allez, c’est bon, arrête un peu avec ton insuline, fais un effort. » Comme on va le voir, la dépression est un trouble biologique, tout autant que le diabète. Pas avec le même type de ressort biologique, mais cela reste une maladie médicale.

Deuxième point fondamental : si vous vous contentez d’étudier la biologie de la dépression — la chimie du cerveau, les hormones, les gènes et toutes ces notions complexes — vous ne comprendrez jamais vraiment comment lutter contre cette maladie. C’est pour cela que cette conférence est divisée en deux parties. Vous pouvez apprendre toute la biologie du monde, maîtriser les termes scientifiques les plus compliqués, mais si vous ne prenez pas en compte la psychologie de la dépression, vous n’irez nulle part.

Troisième point : pourquoi dire que la dépression est l'une des pires maladies qui existent ? Pour comprendre ça, il faut évoquer le comportement étrange des humains. Vous avez un cancer en phase terminale, une maladie cardiaque invalidante, vous avez perdu un membre… Votre vie est évidemment bouleversée, limitée, compromise. Et pourtant, dans ces situations, on voit des gens réussir à trouver du positif. C'est souvent dans ces moments-là qu'on réalise l'importance de la famille, qu'on trouve la foi, qu'on découvre une nouvelle raison de vivre. L’être humain a cette incroyable capacité à tirer du sens, de la satisfaction, du réconfort, même des pires épreuves. Demandez à ceux qui ont survécu aux camps de concentration et qui, malgré tout, ont réussi à rester debout intérieurement. Nous, les humains, savons voir le bon côté des choses.

La dépression, c'est la maladie qui vous enlève cette capacité. Vous n’arrivez plus à voir le moindre rayon de lumière. Et qu’est-ce qui pourrait être pire que ça ?

Si je devais résumer la dépression en une seule phrase, je dirais que c’est un trouble biochimique avec une composante génétique, dont la manifestation principale est l’incapacité à être émerveillé par un arc-en-ciel ou un coucher de soleil. Et ça, c’est vraiment terrible.

Avant de se plonger dans les symptômes, un peu de jargon. Oui, bien sûr, tout le monde traverse des moments de blues. On vit une déception, un amour à sens unique, une dispute… Et en général, on finit par s’en remettre. On avance, on guérit. Mais ce dont on parle ici, ce n’est pas "Oh, j’ai eu une grosse dispute avec un ami et j’ai été de mauvaise humeur toute la journée." Ce dont on parle ici, c’est une maladie biologique majeure qui détruit des vies. Et qui, encore une fois, fait partie des principales causes d’incapacité médicale dans le monde. Le problème, c’est que le même mot, dépression, est utilisé aussi bien pour un "Oh, quelle journée pourrie, je me sens déprimé" que pour une pathologie biologique grave. Et ça, ça complique tout.

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Par Seum ContreTous