Ne reproduisez pas ça chez vous
J'ai envie de vous le raconter, parce que c'est un peu comme si j'avais postulé à une expérience de vie inédite, ni voulue, ni anticipée, et qui s'est — oh surprise ! — avérée merdique.
Oui parce que, bon, à l'ère du quart d'heure de célébrité, on a l'impression que c'est naturel de se pointer à la télé pour causer, mais pas du tout : ça reste un épisode assez ubuesque pour une personne lambda, a.k.a. en l'occurrence, ici, moi.
La première chose à savoir, c'est que je n'ai jamais eu l'idée même d'être dans l'espace médiatique, même en soum-soum, même deux minutes, même pour de la fausse, rien. Il s'avère qu'à un moment de ma vie je suis tombée dans une niche sur Instagram : j'ai fait marrer les gens, parce que je suis très drôle et, comme c'était encore le Far West sur les réseaux et que tout le monde était enthousiaste, naïf, ça s'est précipité. Une chose en entraînant une autre, j'ai écrit deux livres, fait un podcast, des collabs', pris une agente et tout le tintouin.
Tout ça sans avoir aucune idée de ce vers quoi j'allais, aucune envie de me la ramener et en gardant mon job régulier. C'était une période bizarre, je pouvais me retrouver dans des lieux de fou avec des gens connus le lundi et retourner dans mon établissement REP le jeudi. Un grand écart qui m'a fait comprendre que je préférais être à l'école, mais c'est une autre histoire. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a des moments de bascule dans une "carrière" un peu médiatique où on te propose plein de choses : tu dois savoir si t'as envie de vivre ça ou pas. Lors de la promo de mon deuxième livre, c'était cet interstice, le temps où il fallait saisir tout ce qui se présentait et y aller à fond. C'est aussi celui où je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout la vie que j'avais envie de mener.
J'ai donc été invitée à participer à une émission "cool". Même si tout mon corps me disait non, je n'ai pas réussi à refuser – et c'est très con, il faut toujours s'écouter. Je me suis dit qu'il fallait que je prenne ce qui venait, que c'était pas donné à tout le monde, et quelque part, que je devais honorer ma chance. Parce que je ne viens de rien et que, je sais pas, on se dit, face à ce qu'on croit être des opportunités, qu'on est en train de prendre une revanche sur des trucs. Bref, j'ai dit oui.
J'étais accompagnée par Alizé, la responsable presse de la maison d'édition, qui est une personne formidable et que j'aime beaucoup, ce qui m'a quand même aidée à traverser ce moment de merde avec un peu moins de seum.
Ce qu'on me dit, c'est que le type qui anime ce programme veut absolument que je fasse la première de l'année, que, vraiment, c'est lui qui a demandé. Toi dans ces cas-là, comme une bonne Bécassine tu te dis, je suis désirée, c'est cool, c'est safe, ce n'est pas la maison d'édition qui a fait la démarche, on vient me chercher, c'est pas moi qui gratte à la porte. Quand j'y repense, je me dis que je suis à la masse, mais bon, je suis comme tout le monde : je me laisse avoir par l'illusion de gentillesse que je peux percevoir à l'écran. Oui parce que, l'argument qu'on m'a donné, c'est que c'était un show bienveillant : et c'est vrai, lorsqu'on le regarde, c'est exactement ce qu'on ressent, des rires, des blagues, un ton doux et concerné.
Donc, c'est décidé, j'y vais. J'entre en contact avec la journaliste qui prépare l'interview, on bosse le sujet, j'explique bien mon positionnement sur l'astro, ma démarche avec le livre, elle comprend, les échanges sont cools, je me dis : ça va bien se passer. Elle me propose de faire une petite intro en faisant ce que je fais avec Astrotruc, des petits portraits pop des chroniqueurs, ce qui était une très bonne idée pour faire comprendre ma démarche, super, parfait.
Sauf que non : à la dernière minute, on ne le fait plus, mon temps d'écran est rogné parce qu'il y a une polémique sur un film et qu'on a tout décalé pour inviter le réalisateur. Très bien, pas de problème, qui suis-je pour refuser, tant que je peux parler du livre, ça va.
Le jour J, je débarque dans une arrière-cour parisienne, jolie comme seules les arrière-cours parisiennes fleuries au pied d'appartements valant des millions, qui jadis abritaient des ateliers insalubres et des prolétaires harassés peuvent l'être : nous entrons dans le bâtiment où se trouvent les studios et les bureaux. C'est sympa, ça grouille de jeunes gens cools, c'est lumineux, la journaliste avec laquelle j'ai échangé est là, elle est super ouverte, elle nous installe dans une loge, on papote de tout, je me détends. Je me change, mets ma chemise fétiche, parce que : maman je passe à la télé, j'ai envie d'avoir l'air bien. Dans la loge, il y a un écran qui diffuse ce qui se passe dans le studio : un jeune champion de poker raconte son parcours, tout le monde est adorable avec lui. Je me dis : ça va bien se passer. Débarquent la maquilleuse et le coiffeur, attentionnés, qui virevoltent en papotant pour conjurer ma nervosité, ça va bien se passer. Une membre du staff qui bosse sur le plateau vient me chercher : prévenante, elle me conduit en bas, là où on enregistre. Je dois préciser que TOUS les gens qui bossaient en périphérie de l'animateur et des chroniqueuses étaient juste des cœurs. On me propose de l'eau, « Ça va, vous êtes bien assise ? » Tout ça.
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